Royal de Luxe à Santiago du Chili
On estime à plus d'un million le nombre de Chiliens qui, le temps du week-end, se sont agglutinés dans les rues de Santiago pour voir passer la pequeña gigante. Dans la capitale andine, une «petite géante» de six mètres cinquante de hauteur se promenait en effet, posant son regard sur la foule pendue dans les arbres, aux balcons, juchée sur les abribus, les monuments et les trottoirs.
La marionnette de la compagnie française de théâtre de rue Royal de Luxe est devenue une star en cherchant dans la capitale un rhinocéros venu d'Afrique. Effrayé par les camions des mines de cuivre du désert d'Atacama, où il est arrivé, le dangereux mammifère s'est réfugié dans le centre de Santiago, causant de nombreux dégâts matériels.
C'est au rythme de cette histoire, inventée par Jean-Luc Courcoult, directeur et créateur de la compagnie, que le Chili a vécu quatre jours durant. En première page des journaux, on lisait «la furie» ou «la folie», en référence notamment aux embouteillages que la fillette à robe verte avait causés dans la ville. La foule était venue de toute la ville et parfois de la province. Anita, 26 ans, porte à bout de bras son bébé de 6 mois. «Il ne verra ça qu'une fois dans sa vie et c'est rare qu'on puisse assister à du théâtre gratuit», s'exclame-t-elle, malgré les trois heures d'attente dans la chaleur. Des cris, des applaudissements et quelques bousculades accompagnent le pipi, la douche, le déplacement en trottinette ou sur une voiture de la marionnette, presque timide devant une telle idolâtrie.
La création El Rinoceronte escondido («Le rhinocéros caché»), spécialement conçue pour le Chili, a débuté vendredi matin alors que les Santiaguiños passant devant le palais présidentiel découvraient un bus renversé sur un autre et trois taxis défoncés : les dégâts du rhinocéros. Le lendemain, c'est la Présidente, Michelle Bachelet, que la petite géante a saluée à son réveil.
Peu habitué au spectacle de rue, chacun s'est approprié le conte avec une naïveté parfois confondante ; un garçon de 6 ans pense que le mammifère a probablement causé des «milliers de morts». Fumant, bavant et rugissant, l'animal de bois et de métal a fini par être mis en cage.
Jean-Luc Courcoult se félicite de l'accueil : «Je suis tombé amoureux du Chili en 1989, quand on est venu la première fois pour présenter le spectacle Roman-Photo. En créant ici avec des Chiliens un spectacle unique, ancré dans la réalité du pays, j'ai voulu leur offrir un cadeau. J'ai donc réveillé le rhinocéros, cet animal que j'adore, et qui dormait depuis juillet 1997 et le Festival de la photographie d'Arles.»
El Rinoceronte escondido est le plus gros événement culturel de rue jamais vu dans le pays. «Il nous a remplis d'orgueil», raconte un homme qui a pris un jour de vacances vendredi pour voir le spectacle. Avec le soutien de l'agence Cultures France et de la ville de Nantes, où réside la compagnie, Royal de Luxe clôt ainsi avec succès la 14e édition du Festival international de théâtre Santiago à Mil, le plus important du pays. «Il y aura un avant et un après El Rinoceronte escondido, affirme Carmen Romero, la directrice du festival . Royal de Luxe a réalisé le rêve que nous faisions : que les Chiliens, peu habitués à descendre dans la rue, surtout depuis la dictature, habitent la rue pacifiquement. Mais aussi qu'ils y vivent côte à côte, quelle que soit leur couche sociale dans une ville géographiquement très divisée.»
La poésie simple de Royal de Luxe aura transformé la capitale de béton, polluée et souvent mal aimée des Chiliens, en un rêve éveillé.
Source : Liberation.fr